Le droit du travail en France distingue deux régimes juridiques en ce qui concerne les travailleurs : le régime classique d’une part, et le régime des travailleurs indépendants d’autre part. Ces dernières années, ils se sont vus prendre une place de plus en plus importante dans le monde du travail, notamment grâce à une réforme des statuts.
En effet, depuis 2009 et l’apparition du statut d’auto-entrepreneur, le nombre de travailleurs indépendants n’a fait qu’augmenter. La grande autonomie dont ils disposent pour accomplir leurs activités professionnelles et la variété des domaines prêts à les accueillir donnent de l’ampleur à cette catégorie de travailleurs. Les métiers artistiques et créatifs, l’informatique, la communication, la comptabilité, la manutention, l’agriculture et bien d’autres encore sont des métiers où le statut d’indépendant domine.
Si l’utilisation de prestataires externes est devenue une aubaine pour certaines entreprises, il se peut que, dans les faits, le travailleur indépendant soit traité comme un salarié classique. Or, ce type de comportement est loin d’être sans risque pour l’entreprise, puisque les deux contrats ne sont pas soumis aux mêmes régimes, et cela peut entraîner une requalification du contrat indépendant en contrat de salarié. Cette requalification se répercutant, évidemment, socialement et financièrement.
Les différences entre le travailleur indépendant et le travailleur salarié
Ce qui constitue le contrat de travail d’un salarié
On considère, selon une jurisprudence constante, qu’un travail est caractérisé comme salarié s’il réunit trois éléments: une prestation de travail est réalisée, cette prestation est effectuée en l’échange d’une rémunération, et enfin la personne qui effectue cette prestation est soumise à un lien de subordination permanent envers son employeur.
Ainsi, peu importe le type de contrat (CDD, CDI, temps partiel), une fois ces trois éléments réunis, la relation professionnelle est liée par un contrat de travail. Cela apporte non seulement de la stabilité pour la vie du salarié, mais également pléthore d’avantages dont ne peuvent nécessairement pas jouir les indépendants : congés payés, protection sociale, indemnités chômage, remboursements de frais etc.
L’élément clé qui se distingue des autres est bien entendu la notion de subordination: elle est même inhérente au contrat de travail salarié. L’employeur doit pouvoir jouir de ce lien pour diriger les prestations de son salarié, le guider, et même le sanctionner si nécessaire. Cette subordination ne peut, en revanche, pas être imposée, elle doit être pleinement acceptée par le salarié au moment de la signature du contrat de travail ou bien à travers son comportement au sein de l’entreprise.
Le statut d’indépendant en France
Un travailleur indépendant, aussi appelé freelance, est une personne qui effectue pour son propre compte des missions professionnelles ponctuelles pour différents employeurs, particuliers ou professionnels, à titre d’activité économique. À ce titre, il bénéficie d’une liberté d’action dont ne dispose pas le salarié. Le travailleur indépendant peut en effet fixer ses propres prix, ses plages horaires, ou encore la clientèle avec laquelle il souhaite travailler.
Le statut d’indépendant n’est, par ailleurs, pas restrictif en France, et il est cumulable avec le statut de salarié à la condition que les deux activités n’entrent pas directement en concurrence et que cette faculté soit autorisée par le contrat de travail.
La liberté contractuelle permet au travailleur freelance de rédiger ses propres contrats, qui, même s’ils ne sont pas légalement obligatoires, sont vivement recommandés. Ces derniers nécessitent tout de même une once de formalisme pour être considérés comme valables, comme l’identité des parties, la nature du travail fourni, les tarifs explicites et les modalités temporelles. Tout ceci reste à l’appréciation du travailleur indépendant et n’est valable que pour une transaction donnée.
Chaque contrat est unique pour la prestation concernée et ne constitue pas une preuve d’un lien de subordination entre le travailleur indépendant et le demandeur. C’est cette absence de lien hiérarchique qui permet de séparer le travailleur indépendant du travailleur salarié, quand bien même la relation contractuelle s’étend sur plusieurs mois. L’indépendant n’est pas subordonné au donneur d’ordre, car s’il le devient, son contrat risque d’être requalifié.
Les raisons d’une requalification
Si l’article L.8221-6 du Code du travail établit une présomption de “non salariat” pour les travailleurs indépendants, ce dernier peut être requalifié en apportant les preuves de la réalité de sa situation. Il arrive en effet que l’indépendant soit, dans les faits, un “salarié déguisé”.
Il est donc à la charge du travailleur indépendant de prouver son statut de salarié dans les faits, en démontrant qu’il a exécuté ses contrats dans des conditions qui laissent transparaître un lien de subordination juridique entre lui et son employeur. La réalité de fait prend alors le pas sur la réalité contractuelle et le travailleur peut voir son contrat requalifié en collaboration salariée.
La jurisprudence regorge de cas où ce lien de subordination juridique a été prouvé, comme cela a été le cas par exemple avec l’entreprise de véhicules de transport avec chauffeur Uber, où l’un des chauffeurs a vu son contrat requalifié en contrat de travail. La démocratisation de leur utilisation par certaines entreprises (Deliveroo, Amazon) et la diversification des métiers numériques (rédacteur, journaliste, consultant, graphiste) mettent les entreprises employant des indépendants sous le feu des projecteurs.
Si toutes les entreprises faisant appel à des travailleurs indépendants se doivent de rester vigilantes, il existe des façons assez évidentes de constater si le travailleur est considéré comme un salarié. En effet, si le travailleur indépendant est soumis à des règles strictes comme l’utilisation d’un certain matériel fourni par l’entreprise, des horaires de travail décidées par l’entreprise, des tarifs imposés par l’entreprise, une présence obligatoire à un lieu de travail déterminé par l’entreprise, ou encore si l’entreprise intervient dans sa façon d’accomplir sa prestation, cela peut constituer des preuves constatant l’existence d’une subordination entre les deux parties.
Les conséquences d’une requalification
En cas de requalification par le Conseil de prud’hommes d’un travailleur indépendant en salarié, l’entreprise doit régulariser sa situation en prenant des mesures rétroactives.
Sur le plan civil, l’ensemble des avantages dont l’indépendant aurait dû bénéficier s’il avait été salarié doit lui être attribué. Les sanctions peuvent être, entre autres, des rappels de salaires, des primes, des remboursements d’heures supplémentaires, des remboursements des titres de transports, ou encore des remboursements de repas. Si le contrat qui liait les deux parties a été opportunément résilié avant la décision des prud’hommes, le travailleur indépendant peut même obtenir, entre autres, une indemnité de licenciement.
Sur le plan pénal, l’entreprise peut être condamnée pour travail dissimulé et risque jusqu’à trois ans d’emprisonnement et une amende de 45.000,00 € (225.000,00 € s’il s’agit d’une société). S’ajoute à cela une régularisation nécessaire à l’URSSAF comprenant une régularisation et majoration des cotisations, et ce rétroactivement pour toute la durée de la collaboration avec le travailleur indépendant.
Compte tenu des risques importants pour l’entreprise, il est absolument essentiel de faire appel à un avocat en droit des affaires afin de se prémunir de toute requalification. Ce dernier est dans la capacité d’éclairer les interrogations de l’entreprise sur la façon dont il faut concevoir la collaboration avec les indépendants, et ainsi éviter tout contentieux. La rapide évolution du monde du travail, due notamment à l’accroissement de la digitalisation des services, nécessite une aide extérieure pour accompagner les entreprises dans leur évolution en toute sérénité.